« Il ne participe pas à la vie de l’équipe » ou « Le bonheur, si je veux »

« Il ne participe pas à la vie de l’équipe » ou « Le bonheur, si je veux »

 

Sophie est une jeune femme dynamique d’une trentaine d’années, en charge d’une équipe de 4 collaborateurs, tous cadres, au sein d’un service marketing. Réputée pour son énergie et la qualité de son « management collectif », elle encourage l’esprit d’équipe, le travail en groupe, la proximité entre collaborateurs, à telle enseigne, qu’elle a récemment réorganisé ses bureaux vers davantage de modularité, des espaces d’échanges.  Et voici ce que dit Sophie : « un de mes collaborateurs (nous l’appellerons Alain) est introverti, il ne va pas vers les autres. Il met ses écouteurs tous les jours. Il ne change jamais de place, ne propose jamais de déjeuner avec les autres. A noter qu’Alain est extrêmement rigoureux, carré et son travail est irréprochable ».

Et comme Sophie est une manager qui n’aime pas laisser trainer des situations qui lui posent problème, elle ajoute :

« J’ai déjà échangé avec ce collaborateur sur la situation. Il m’indique être introverti depuis tout jeune et qu’il a du mal à aller vers les autres ou à créer des échanges. Je lui ai proposé une formation « affirmation de soi », il en est ressorti motivé et plein d’envie de changement mais le naturel est revenu et il s’est refermé dans sa coquille. Il ne vient pas aux afterworks, il déjeune tout seul devant son PC, il ne participe jamais aux fêtes d’anniversaire, aux pots de départ …  Bref, il n’a pas d’esprit d’équipe ». Inquiets de l’isolement d’un de leurs collaborateurs, bon nombre de managers incitent leurs collaborateurs à participer à la vie de l’équipe.

Un manager peut-il exiger de ses collaborateurs qu’ils participent à la vie du groupe ?

 

Ne pas déjeuner avec ses collègues constitue-t-il une faute professionnelle ? La sociabilité d’un collaborateur est-elle un critère de professionnalisme ?

Il n’y a pas de réponse univoque à cette question. Il existe des fonctions dans lesquelles cette aptitude est indispensable (pour les chief happiness officers, par exemple).

Distinguons :

  • L’esprit d’équipe qui se définit par la capacité de chacun de ses membres à travailler avec les autres, ce qui suppose de se faire challenger et de challenger, poser ses désaccords sans agressivité et sans se sentir agressé, aider et demander de l’aide.
  • La vie sociale de l’équipe qui se définit par des interactions informelles entre les individus, conditionnée par les affinités : goût du collectif, plaisir d’échanger, de passer de bons moments sans enjeux professionnels, à râler sur le chef, à déplorer le fonctionnement de l’organisation, l’absence de bouchées à la reine à la cantine, par exemple …

 

L’instauration d’un esprit d’équipe est une conséquence heureuse de la manière dont chaque collaborateur est dirigé, dans la mesure où chacun est rassuré sur le fait qu’il est reconnu par son manager, aussi bien félicité dans ses succès qu’aidé dans les difficultés dont il peut faire part. Ce collaborateur se sentira alors à l’aise pour travailler en équipe en ne se sentant pas jugé par ses collègues. Quant à la vie sociale de l’équipe, en aucun cas, il ne s’agit pour le manager d’un objectif à atteindre, au risque qu’il se transforme en Gentil Animateur digne d’une célèbre entreprise de clubs de vacances.

Allons plus loin en disant que l’équipe a une vie propre à laquelle le manager n’a pas forcément accès et à laquelle il convient qu’il ne cherche pas à avoir accès. Tout un chacun a besoin d’un espace personnel dans lequel il choisit la nature et l’intensité de ses interactions. Les bonnes intentions de Sophie à l’égard de son collaborateur Alain trouvent leurs limites dans ce qu’elles portent sur l’amélioration de la vie sociale de son collaborateur et non sur le volet relationnel de sa fonction. Dès lors, Sophie va être en situation de demander à Alain de déployer des comportements qui appartiennent à sa sphère personnelle et donc outre passera les limites de ce qu’un manager est légitime à exiger de son collaborateur

Rendre heureux ? ou faire progresser ses collaborateurs

Cependant, force est de constater que l’évolution des métiers, la modularité des espaces de travail, l’accroissement de la transversalité au sein des organisations impose à chacun d’améliorer ses aptitudes relationnelles ou d’en acquérir de nouvelles.  Ces aptitudes sont au service d’un objectif à atteindre, d’un service à rendre, d’une production à délivrer.  Faire progresser un collaborateur sur ses aptitudes relationnelles est un attendu de la fonction managériale. Cela suppose de décliner ces aptitudes en objectifs concrets et mesurables, et non pas comme ce manager qui a dit un jour à son collaborateur : « je souhaite que tu améliores ton relationnel », ce dont ce dernier ne peut rien faire. Ce manager pourrait plutôt lui demander : « au lieu d’envoyer un mail à ce collègue du service d’à côté, va le voir directement, ce sera plus efficace ».

On ne peut pas vouloir le bonheur de ses collaborateurs à leur place mais on peut vouloir qu’ils améliorent leurs pratiques professionnelles, y compris celles qui sont de l’ordre des comportements, ce qui, peut éventuellement les rendre heureux.

Peut-on rester loyal quand on est en désaccord avec son patron ?

Peut-on rester loyal quand on est en désaccord avec son patron ?

Jean-Pierre Chevènement aurait dit : « un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».

Qu’en est-il des managers en entreprise ?

Pouvons-nous rester loyaux quand notre patron nous demande de faire appliquer par nos équipes une directive avec laquelle nous sommes en désaccord, loyaux avec notre patron, nos collaborateurs, et aussi avec nous-mêmes ? Est-il possible de tenir nos engagements quand la conviction n’est pas au rendez-vous ?

Il n’est pas toujours aisé de faire passer des directives impopulaires, mais quand nous y adhérons, nous sommes plus confortables pour faire le travail indispensable à la construction de l’adhésion de nos collaborateurs, à savoir : faciliter l’expression de leurs propres désaccords. En effet, si nous ne partageons pas leurs réserves, il est plus simple pour nous de les aider à les exprimer ce qui facilite le traitement de leurs objections.

Il en est tout autrement si notre conviction est absente. Quelles sont les alternatives qui s’offrent alors à nous ?

  • Nous soumettre ? Cela nous condamne à faire passer cette directive sans permettre à nos collaborateurs d’exprimer leurs désaccords, notre propre désaccord nous empêchant de leur laisser cette liberté. Il nous donc reste donc un choix étroit entre le passage en force autoritaire et le fatalisme : « c’est comme ça » (formulé avec vigueur ou résignation), ou la pseudo connivence avec les collaborateurs sur le fait que « décidemment, au siège ils décident n’importe quoi ! »Ce choix se fait au prix de notre perte de crédibilité autant que de celle de notre manager, avec les conséquences que l’on peut imaginer en termes de motivation des équipes !
  • Le non-respect de la directive en mode « insubordination explicite » ou en mode « dissimulation discrète » nous fait courir, à nous et à notre contrat de travail, d’autres types de risques.

N’y aurait-il pas d’autres choix ?

Décalons-nous de la gestion des conséquences vers l’analyse des causes.

Avons-nous « réellement » écouté notre patron, challengé son argumentation, veillé à ce qu’il nous écoute, exprimé en quoi la directive nous pose problème ?

  • Notre conception du statut hiérarchique, nos aprioris, notre confiance en nous (ou notre agressivité à son égard) nous ont-ils permis de le faire ?
  • Nous sommes nous intéressés aux difficultés que notre patron peut avoir eu pour faire évoluer la conviction de son propre patron ? Aux éléments d’information qui ont pu lui manquer de notre part pour qu’il puisse convaincre ce dernier de la pertinence ou de la non-pertinence de telle ou telle décision ?

Au travers de nos diverses actions de conseil, nous pouvons mesurer à quel point notre image de l’autorité conditionne la cohérence de nos comportements dans la relation que nous avons symétriquement avec nos collaborateurs et avec notre patron :

  • Notre capacité à être exigeants dans les objectifs que nous fixons et dans la manière dont nous nous attachons à nous faire convaincre par notre patron ou à le convaincre
  • Notre disponibilité pour aider nos collaborateurs (tout en veillant à ne pas les assister) et notre simplicité et notre transparence à exprimer nos difficultés à notre patron sans avoir peur de déchoir à ses yeux

Autrement dit, la loyauté n’est-elle pas tout simplement subordonnée à notre capacité à exprimer nos désaccords de manière non agressive, à ré-itérer nos demandes quand nous n’obtenons pas gain de cause, à accepter de nous faire convaincre et à nous faire aider sur nos difficultés propres ?