Le manager doit-il vraiment être exemplaire ?
L’exemplarité du manager, posée comme une évidence
Au cours de mes tribulations au sein d’organisations très différentes, je suis frappé par le fait que la notion d’exemplarité soit souvent affichée comme une valeur cardinale indépassable. Cet attendu dans les pratiques et les comportements des managers est louable ; il parle de la crédibilité du manager vis-à-vis de ses équipes. Modèle à suivre, ce manager aura à cœur de ne pas attendre de ses collaborateurs ce que lui-même n’est pas en mesure d’accomplir.
Pour autant cette notion revêt différentes significations pour chacun d’entre nous : chercher à être irréprochable, devenir un référent, un point de repère, montrer par ses actes ce que l’on attend de ses collaborateurs.
De ce fait, l’exemplarité peut comporter des effets contre-productifs
Quand chacun agit selon sa propre conception de l’exemplarité
Si ce qui est attendu en termes de performance et de comportements n’est pas explicité et partagé par l’ensemble des acteurs de l’organisation, chaque manager devient seul juge de ce qui est souhaitable de promouvoir et participe, à son corps défendant, à une dispersion des pratiques managériales, parfois en contradiction les unes avec les autres. Dans ces conditions, quid de la crédibilité des lignes managériales ?
Quand le manager confond exemplarité et perfectionnisme
Ceci peut entraîner le manager à vouloir tendre vers un niveau de pratique inatteignable, donc anxiogène pour lui-même et pour ses collaborateurs vis-à-vis desquels il risque de devenir un éternel insatisfait
Quand l’exemplarité dispense le manager d’exprimer ce qu’il souhaite de ses collaborateurs
Combien de fois ai-je vu des managers agacés par leurs collaborateurs qui n’avaient pas su décoder, au travers de ses actes, ce qu’il attendait d’eux : « je leur ai fait comprendre que », « ils doivent bien se rendre compte que » sont des incantations qui dans les faits, sont rarement efficaces parce que ces managers n’ont pas exprimé clairement ce qu’ils voulaient.
Mais il est vrai qu’exprimer son désir, c’est prendre le risque d’essuyer un refus. Être exemplaire peut donner l’illusion de se prémunir de ce risque, puisque l’Autre, sans rien lui dire, comprendra de lui-même, ce que j’attends de lui.
En cela, l’exemplarité freine la mise en place du cercle vertueux de la relation exigeante dans laquelle un collaborateur accroît son niveau d’exigence vis-à-vis de son patron à la hauteur de ce que ce dernier pose ses exigences avec lui.
Parlons plutôt de cohérence
- Entre ce que nous disons et ce que nous faisons
- Entre ce que nous souhaitons de l’autre et ce que nous lui demandons
- Entre ce que nous voyons et nous pensons du travail de nos collaborateurs et les feed back explicites que nous ne craindrons pas de leur poser
Soyons donc cohérents, bien plus qu’exemplaires, c’est rassurant pour le collaborateur, c’est réaliste pour le manager. C’est plus efficace pour les deux … et cette vertu a le mérite de ne pas laisser planer le doute.
Le management précautionneux : dérive du management bienveillant ?
Bienveillance et relations conflictuelles
Un article du monde en date du 27 août 2021 et intitulé « On est en train de devenir complètement nunuche : comment l’exigence de bienveillance empoisonne les relations sociales »a attiré mon attention.
Il est question du fait que l’injonction de bienveillance dans nos relations finit par être contre-productive : alors qu’elle vise à instaurer un dialogue ouvert et non agressif par la mise en confiance de notre interlocuteur en lui faisant part de nos bonnes intentions à son égard, cette précaution nous amène à être moins directs, précautionneux dans nos propos et donc suspectés de manipulation par celui à qui l’on veut du bien. De fait, la bienveillance peut générer des relations conflictuelles, celles-là même qu’elle entendait éviter. Le monde du management n’échappe pas à ce phénomène.
La crainte de mal faire
Bon nombre de managers que je croise disent d’abord ne surtout pas vouloir jouer le rôle du « méchant », ni celui du petit chef autoritaire qui abuse de son petit pouvoir. Ils se posent ensuite la question de savoir s’ils ont assez donné à leurs collaborateurs.
Alors ils font attention :
- aux feed back que leurs collaborateurs pourraient prendre mal,
- à ne pas être trop directs dans leurs propos pour ne pas heurter la sensibilité de leurs équipiers,
- à être égalitaristes dans la manière de les diriger,
- à capter les signaux faibles que pourraient leur envoyer leurs collaborateurs sur ce qu’ils attendent de leur manager et sur leur bien-être.
Pour autant :
- Intérieurement, ils bouillent de voir des collaborateurs répéter les mêmes erreurs alors qu’ils ont du potentiel
- Ils n’ont pas de retours sur la pertinence de tout ce qu’ils ont donné, alors ils se posent la question de leur propre valeur ajoutée (ce qu’accentue le télétravail)
Alors que les collaborateurs ne savent plus où ils en sont par défaut de points de repères sur leur performance professionnelle de la part de leur manager
Les dérives de la bienveillance
L’article cité plus haut souligne de manière pertinente les dérives possibles d’une bienveillance érigée en dogme et nous observons qu’elle encourage un management précautionneux qui peut produire l’inverse de ce qu’il recherche : une dégradation des relations manager/managé, des attentes respectives non exprimées, donc de la frustration de part et d’autre.
Et si l’exigence constituait l’authentique bienveillance ?
Substituons au management précautionneux un management basé sur des relations exigeantes dans lequel chacun – manager et managé – exprime ce qu’il souhaite de l’autre pour tenir sa fonction. Un management dans lequel recevoir un feed back est une condition pour progresser et non une blessure narcissique, dans lequel enfin, demander de l’aide est une manifestation de responsabilité et de professionnalisme et non un aveu d’incompétence infâmant.
Cet éclairage nous rappelle que la bienveillance est intimement liée à l’authentique exigence et que donner sans avoir rendu notre interlocuteur demandeur, c’est prendre le risque de l’assistanat.
Chronique managériale n° 5 : Mon patron me harcèle ou me délaisse ?
De nombreuses publications font état de la difficulté d’être manager à distance, en particulier, des modalités de contrôle et de détection du mal-être des collaborateurs. Mais on parle peu du fait de la difficulté de se faire manager à distance.
Dans un précédent article (Chronique Managériale N°2 : quand la crise met en lumière nos comportements habituels), nous avions vu que la distance ne fait que révéler voire amplifier un état déjà existant : si vous n’aimez pas être contrôlé, que vous vivez cela comme une atteinte à votre liberté ou comme une marque de défiance de la part de votre manager, vous ne donnerez pas plus de visibilité à votre activité et sur vos difficultés éventuelles qu’au bon vieux temps du présentiel.
Les conséquences ? : un manager inquiet sans nouvelles de votre part qui va multiplier les points de contrôle sur le mode « tu en es où ? tu livres quand ? » qui ne fait que vous mettre la pression et ne résout en rien vos difficultés.
Comment éviter ce cercle vicieux ?
Pourquoi pas en facilitant le travail à votre manager ?
- Parce qu’il est aussi là pour vous permettre de progresser, y compris en vous faisant sortir de votre zone de confort
- Parce que l’atteinte de vos objectifs dépend également du fait de vous autoriser à l’alimenter en informations sur ce que vous vivez, à le challenger sur ce qu’il attend de vous, sur la clarté des objectifs qu’il vous fixe
- Parce que l’aide que vous lui demanderez et que vous obtiendrez lui permettra de s’intéresser à vous au-delà du seul : « tu en es où »
Trois questions pour mesurer votre niveau de satisfaction de la collaboration avec votre manager ?
1 – Aujourd’hui, en pyjama (si, si …), à la maison, derrière mon PC, à quoi me sert il ?
2 – Et lui, à part les résultats que je lui apporte, à quoi je lui sers ?
3 – Demain, je souhaiterais voir quelles évolutions dans nos échanges ?
Si vous ne savez pas quoi répondre à ces questions, c’est peut-être déjà un bon sujet de conversation avec lui ! D’ailleurs, si vous jetez un regard sur les managers successifs que vous avez eus dans votre carrière, n’est ce pas ceux avec qui vous avez eu ce type de discussions qui vous laissent le meilleur souvenir ?
Prendre l’initiative de faire ce type de démarche est déjà utile en « temps normal », mais c’est encore plus utile quand on est managé à distance, quand le poids de l’isolement et de l’absence de points de repères se fait encore plus pesant.
Télétravail : risques de « flicage numérique » ? Et si nous parlions de contrôle vertueux
A l’occasion des négociations sur le télétravail entre patronat et organisations syndicales, un sujet est apparu à plusieurs reprises en marge de ces débats, celui des logiciels espions.
Ces logiciels sont susceptibles d’être utilisés pour surveiller l’activité de salariés en télétravail sur leur ordinateur. Les intentions d’achat de ce type d’outil ont été multipliées par 50 aux Etats Unis au printemps dernier mais leur utilisation éventuelle en France est strictement encadrée et le non-respect des règles expose l’entreprise à de lourdes sanctions financières et pénales.
La lecture d’un récent article paru dans le magazine Challenges, bien documenté et accompagné de commentaires de personnes qualifiées, m’a inspiré plusieurs réflexions :
Pourquoi des logiciels espions font ils autant de bruit en France alors même que leur utilisation y est strictement encadrée ?
Bien sûr, il existe des « patrons voyous » mais c’est marginal et les partenaires sociaux veillent au grain !
L’explication réside sans doute dans une image fréquemment négative du contrôle. D’ailleurs il n’est pas neutre que le sous-titre de l’article qui m’a fait réagir oppose le management adossé aux outils de surveillance au management par la confiance (même s’il est dit plus loin que la confiance n’exclut pas le contrôle). Le contrôle est fréquemment assimilé à du « flicage » et sa finalité associée à la notion de sanction négative.
A quoi sert le contrôle ?
- A savoir si le résultat est atteint ? Sera atteint ? …. Trop restrictif, certes !
Et pourtant, notre expérience de consultants nous amène à constater qu’en dépit des (bonnes) intentions de nombre de managers, le contrôle se limite souvent à cette fonctionnalité.
- A atteindre le résultat ? … Oui ! Mais comment ?
Depuis que la crise sanitaire a conduit à l’explosion du télétravail, nombreux sont ceux qui se réjouissent de voir la « culture du résultat » supplanter la « culture du présentiel » (au sens de présentéisme, de ‘’ faire des heures ‘’). C’est le cas de Tarik Chakor dans l’article de Challenges et de Julia de Funès dans ses conférences pour ne citer qu’eux. Du coup, qu’est-il judicieux de contrôler pour atteindre le résultat ?
Quoi contrôler ?
Bon nombre d’articles, de commentaires sur le télétravail posent la question de : « jusqu’où contrôler un collaborateur ? », positionnant le contrôle comme une intrusion dans la vie du collaborateur. Ceci est vrai si le contrôle porte sur le seul niveau d’activité du collaborateur, de son temps de connexion et de son activité sur le web.
- C’est ce que font les logiciels espions. Mais au-delà du caractère intrusif de ces outils, est-il efficace de contrôler l’activité ? Oui, mais à condition d’aller plus loin. L’activité d’une personne n’est que la conséquence du cocktail comportement / compétence qu’elle met en œuvre.
- Notons que quelqu’un qui « sait faire » ne développera pas forcément le niveau d’activité cible s’il n’a pas « envie de faire ». A l’inverse, si quelqu’un qui a « envie de faire » et ne « sait pas faire » il alertera et demandera de l’aide.
Par conséquent, il est beaucoup plus efficace de s’attacher à identifier les comportements observables, voire mesurables qui permettent
- d’identifier la réelle capacité de production d’un collaborateur
- de détecter son éventuel mal-être quand il outrepasse cette capacité
- et, en prime, de savoir comment le faire progresser
A ce titre, on peut dire que non seulement la confiance n’exclut pas le contrôle, mais que le contrôle est la condition de la confiance …et du résultat, à condition de ne pas se tromper sur ce que l’on contrôle.
Réflexions sur le rôle des experts
La participation de Jean-Michel GULLUNG à l’émission « Hashtag l’émission » sur Public Senat ce jeudi, lui a permis, en interaction avec Véronique Reille Soult de Dentsu Consulting, de faire des parallèles entre la gestion de la crise sanitaire et le management des experts en entreprise.
Au-delà des polémiques qui entourent la gestion de la crise sanitaire, la préparation de cette émission a mis en lumière que la confusion entre décider et diriger affecte l’efficacité du fonctionnement des entreprises et celle de l’Etat de manière identique. En effet,
- Les experts scientifiques ont permis à nos dirigeants de définir une cible claire : utiliser le confinement pour écrêter la vague des contaminations et par voie de conséquence la vague des cas graves afin d’éviter la saturation des services d’urgences. Cet objectif à la fois mesurable/observable, ambitieux et réaliste possède les caractéristiques d’un objectif qui tient la route.
- Ces experts ont également aidé à formuler une stratégie de lutte contre l’épidémie pertinente au travers du triptyque : tester / tracer / contrôler … jusqu’ici, tout va bien !
C’est ensuite que ça se gâte, … dans l’exécution !!!
Les plus belles stratégies, les plus beaux process ne donnent guère de résultats s’ils ne sont pas mis en œuvre.
La mise en œuvre ne dépend plus des conseils des experts ni de la capacité d’analyse, de synthèse et de décision des dirigeants. Elle dépend d’une autre qualité managériale : la capacité à mettre en œuvre le « management des personnes »
Le propos est alors d’obtenir :
- Une cascade des décisions suivant les différents niveaux hiérarchiques jusqu’au terrain et une conversion des grandes orientations en objectifs opérationnels. Cependant, nous savons bien que les choses ne se passent jamais comme prévu dans la tour de La Défense, à l’Elysée ou au Ministère
- Une mise en mouvement coordonnée des différentes structures concernées (Directions / Ministères / Filiales / Services / Agences / …) repose sur la capacité à faire fonctionner des interactions transverses. Elles ont comme caractéristiques que les responsables de ces différentes structures n’ont pas de pouvoir hiérarchique les uns sur les autres,
Résoudre les problèmes de cascades hiérarchiques comme les difficultés liées aux fonctionnements en silos est subordonné au fait que les remontées d’informations s’opèrent par un dialogue avec les personnes et pas uniquement au travers de l’ERP et des outils de pilotage. Ces remontées permettent de construire l’adhésion du corps social car elles sont le moyen de répondre aux objections et aux difficultés.
C’est à cette condition que les stratégies de communication (relayées par des experts scientifiques ou non) peuvent porter leurs fruits car ces stratégies ne peuvent que conforter une adhésion préexistante et non pas la construire.
Commentaires récents