Peut-on rester loyal quand on est en désaccord avec son patron ?

Peut-on rester loyal quand on est en désaccord avec son patron ?

Jean-Pierre Chevènement aurait dit : « un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne ».

Qu’en est-il des managers en entreprise ?

Pouvons-nous rester loyaux quand notre patron nous demande de faire appliquer par nos équipes une directive avec laquelle nous sommes en désaccord, loyaux avec notre patron, nos collaborateurs, et aussi avec nous-mêmes ? Est-il possible de tenir nos engagements quand la conviction n’est pas au rendez-vous ?

Il n’est pas toujours aisé de faire passer des directives impopulaires, mais quand nous y adhérons, nous sommes plus confortables pour faire le travail indispensable à la construction de l’adhésion de nos collaborateurs, à savoir : faciliter l’expression de leurs propres désaccords. En effet, si nous ne partageons pas leurs réserves, il est plus simple pour nous de les aider à les exprimer ce qui facilite le traitement de leurs objections.

Il en est tout autrement si notre conviction est absente. Quelles sont les alternatives qui s’offrent alors à nous ?

  • Nous soumettre ? Cela nous condamne à faire passer cette directive sans permettre à nos collaborateurs d’exprimer leurs désaccords, notre propre désaccord nous empêchant de leur laisser cette liberté. Il nous donc reste donc un choix étroit entre le passage en force autoritaire et le fatalisme : « c’est comme ça » (formulé avec vigueur ou résignation), ou la pseudo connivence avec les collaborateurs sur le fait que « décidemment, au siège ils décident n’importe quoi ! »Ce choix se fait au prix de notre perte de crédibilité autant que de celle de notre manager, avec les conséquences que l’on peut imaginer en termes de motivation des équipes !
  • Le non-respect de la directive en mode « insubordination explicite » ou en mode « dissimulation discrète » nous fait courir, à nous et à notre contrat de travail, d’autres types de risques.

N’y aurait-il pas d’autres choix ?

Décalons-nous de la gestion des conséquences vers l’analyse des causes.

Avons-nous « réellement » écouté notre patron, challengé son argumentation, veillé à ce qu’il nous écoute, exprimé en quoi la directive nous pose problème ?

  • Notre conception du statut hiérarchique, nos aprioris, notre confiance en nous (ou notre agressivité à son égard) nous ont-ils permis de le faire ?
  • Nous sommes nous intéressés aux difficultés que notre patron peut avoir eu pour faire évoluer la conviction de son propre patron ? Aux éléments d’information qui ont pu lui manquer de notre part pour qu’il puisse convaincre ce dernier de la pertinence ou de la non-pertinence de telle ou telle décision ?

Au travers de nos diverses actions de conseil, nous pouvons mesurer à quel point notre image de l’autorité conditionne la cohérence de nos comportements dans la relation que nous avons symétriquement avec nos collaborateurs et avec notre patron :

  • Notre capacité à être exigeants dans les objectifs que nous fixons et dans la manière dont nous nous attachons à nous faire convaincre par notre patron ou à le convaincre
  • Notre disponibilité pour aider nos collaborateurs (tout en veillant à ne pas les assister) et notre simplicité et notre transparence à exprimer nos difficultés à notre patron sans avoir peur de déchoir à ses yeux

Autrement dit, la loyauté n’est-elle pas tout simplement subordonnée à notre capacité à exprimer nos désaccords de manière non agressive, à ré-itérer nos demandes quand nous n’obtenons pas gain de cause, à accepter de nous faire convaincre et à nous faire aider sur nos difficultés propres ?

« Les détails, le diable et le micro-management »

« Les détails, le diable et le micro-management »

« Le diable est dans les détails ». Et encore, quand il l’a dit, Nietzsche ne connaissait pas les entreprises du XXIème siècle ! Qui d’entre nous n’a jamais été confronté au grain de sable qui avait échappé à tout le monde et a bloqué les rouages d’une superbe idée ! Il suffit de poser la question à notre ami Google, il nous répond avec force arguments que pour réussir, il vaut mieux exécuter de manière excellente une idée moyenne que d’exécuter de manière moyenne une idée exceptionnelle. Pour garantir le succès des projets menés par nos collaborateurs, la solution serait elle dans le micro-management, ce qui nous permettrait de débusquer les petits diables malfaisants qu’ils auraient laissé passer ?

De Charybde en Scylla

Pas sûr. Le micro-management peut, certes, avoir des « effets bénéfiques » :

  • Il peut constituer un remède efficace pour atténuer les symptômes de l’anxiété de certains managers.
  • Il peut également, par chance, permettre de désamorcer un ou deux détails potentiellement « diaboliques »

Mais le remède est souvent pire que le mal.

Le micro-management est une manière très efficace de perdre de l’efficacité de différentes manières :

  • Les collaborateurs les moins confiants dans leur propre valeur voient une confirmation de leurs doutes dans le mode de management de leur patron. Ils finissent par lui donner raison en multipliant les erreurs qui renforcent leur image négative à ses yeux
  • Les moins impliqués concluent qu’il est inutile de « se prendre la tête » pour faire leur travail puisque leur patron repassera forcément derrière eux, donc autant lui laisser de quoi s’occuper
  • Les plus en conflit ont tout loisir d’interpréter que leur patron cherche la faute pour les licencier, ils préparent leur contrattaque, ce qui n’arrange pas leur capacité à coopérer ni le climat général
  • Les plus soumis y voient une confirmation que leur patron leur demande de l’obéissance, ce qui les éloigne encore un peu plus de l’initiative et de la prise de responsabilité
  • Les meilleurs … en tirent les conséquences, et mettent à jour leur profil à jour sur LinkedIn !!!

Alors, quoi faire ?

Existe-t-il une fatalité de passer du diable des détails à la spirale infernale du micro-management ?

Quelques pistes à explorer :

  • S’intéresser aux producteurs plutôt que de se focaliser sur ce qu’ils produisent
  • S’attacher à diriger les personnes sur la manière ils procèdent pour générer un résultat plutôt que de se focaliser sur le résultat final qui n’est qu’une conséquence
  • Prendre en compte le fait que ladite « manière » ne se résume pas à la compétence et aux processus de travail mais inclut également, voire d’abord, les comportements

Manager nos collaborateurs sur leurs comportements professionnels pour fiabiliser  la qualité de leur production semble plus efficace que de vérifier s’ils n’ont pas oublié de numéroter les pages de leur présentation PowerPoint …