Julien, responsable maintenance bâtiment d’un grand magasin, a la charge d’une équipe de techniciens : électriciens, plombiers, chauffagistes, menuisiers, etc … Il est très expérimenté, il connaît les installations par cœur. Il est préoccupé par la bonne marche de celles-ci car le magasin est ouvert 7j/7j.
Julien passe beaucoup de temps avec ses collaborateurs à leur « montrer » ce qu’il y a à faire et surtout comment il convient de le faire. Il est bien obligé de se substituer puisque Julien estime que ses collaborateurs sont « trop lents » et « attentistes ». « J’ai une équipe de bras cassés, si je n’étais pas là, ça n’avancerait pas »
Ses collaborateurs l’appellent tous les jours, y compris, les week ends où il n’est pas d’astreinte. A chaque fois, il résout le problème, voire il se déplace. Il déplore l’irresponsabilité de ses collaborateurs qui n’essaient même pas de résoudre les problèmes par eux-mêmes : « en même temps, il vaut mieux car ils ne font rien ou bien n’importe quoi ». Il a d’ailleurs déjà rattrapé des catastrophes in extrémis.
Son propre N+1 lui dit qu’il ne fait pas son travail, qu’il n’assure pas sa fonction de manager d’équipe et que c’est pour cette raison qu’il ne l’a pas recommandé pour le poste de N+2. Un comble ! Lui qui se donne corps et âme pour l’entreprise !
Aujourd’hui, Julien est démotivé, aigri, et ne comprend pas pourquoi son patron lui en veut et pourquoi ses collaborateurs ne sont pas plus investis et ne lui demandent pas plus de conseils alors qu’il sait tout.
La bonne volonté de ce manager est évidente : il veut aider mais aider qui ?
En se substituant à ses collaborateurs, Julien s’attache à résoudre le problème technique mais, de fait, n’aide pas ses collaborateurs à résoudre le problème technique par eux-mêmes pour maintenant et pour plus tard, même si telle est son intention.
L’erreur de Julien est de vouloir apporter une aide à ses collaborateurs avant que ces derniers ne lui en demandent. Aider quelqu’un qui ne vous demande rien, c’est prendre le risque d’être vécu comme « relou» (comme disent mes enfants), voire autoritaire. Alors que Julien souhaite faire évoluer ses collaborateurs, les rendre plus compétents, les professionnaliser, les faire grandir, la substitution qu’il met en œuvre les place en situation d’assistanat : pourquoi faire l’effort de prendre des initiatives, de chercher des solutions quand celles-ci seront apportées par le manager et que toute tentative (initiative ?) personnelle sera écartée d’emblée.
« Pousse toi de là, je vais le faire » est finalement la meilleure manière de rendre quelqu’un largement irresponsable, qui attend les bras ballants qu’on vienne le prendre en charge sur sa difficulté.
Le manager de Julien lui dit qu’il ne fait pas son travail mais de quel travail parle-t-il ?
Ce manager peut sembler bien injuste dans son appréciation du travail de Julien : celui -ci ne s’attache-t-il pas continuellement à assurer la poursuite de l’activité de son entreprise ?
Julien s’occupe-t-il de l’organisation de son service, des installations, de ses collaborateurs ? Il est bien entendu que Julien s’occupe de ces trois domaines, en tous les cas, qu’il souhaite le faire. Là encore, ne doutons pas de sa bonne volonté et de la pureté de ses intentions. C’est de fait au nom de celles-ci que Julien n’hésite pas à faire à la place de ses collaborateurs. La manière dont Julien exerce sa fonction de responsable maintenance révèle plusieurs choses :
- Julien est d’abord un expert technique avant que d’être un manager
- Son action est tournée prioritairement vers la bonne marche des installations avant le développement de ses collaborateurs.
- Il est convaincu de bien faire les choses. Dans sa conception du management, c’est en étant compétent que l’on est crédible et en montrant « comment faire », quitte à « faire à la place » que l’on dirige les gens. D’ailleurs, c’est de cette manière qu’il a été dirigé pendant de nombreuses années par ses managers successifs (sauf le dernier qui lui fait aujourd’hui plein de reproches)
Une des principales valeurs ajoutées d’un manager est de faire progresser chacun de ses collaborateurs, de développer leur autonomie. C’est d’aider chacun d’entre eux à dépasser, par lui -même, ses difficultés. Or, nous avons évoqué plus haut qu’aider quelqu’un qui n’est pas demandeur d’aide revient à faire de l’assistanat et produit de la déresponsabilisation. Pour aller plus loin, nous pouvons constater également que bien souvent, ce sont les collaborateurs qui auraient le plus besoin d’aide qui en demandent le moins. Comment faire alors avec ces personnes que nous voulons néanmoins faire progresser ?
Responsabiliser et autonomiser ses collaborateurs passe par les rendre demandeurs d’aide
Le manager de Julien souhaite que ce dernier parvienne à rendre les collaborateurs qui en ont besoin demandeurs d’aide, avant que de foncer, tête baissée, dans la mise en place de solutions techniques. Il souhaite que Julien prenne du recul sur sa fonction de manager qui est de faire faire et non de faire à la place ; il souhaite enfin que Julien prenne conscience qu’en se substituant, en appliquant son savoir, plutôt qu’en cherchant le meilleur moyen de le partager au sein de son équipe, il freine toute volonté d’initiative et de responsabilisation de ses collaborateurs.
Conclusion
Voici donc l’histoire d’un manager de bonne volonté, soucieux de la bonne marche de l’entreprise, ne comptant ni ses heures, ni son énergie pour aider… à qui, pourtant on reproche de ne pas faire correctement son travail.
En se substituant à ses collaborateurs, Julien s’occupe davantage des installations que de faire progresser chacun d’entre eux. La valeur ajoutée d’un manager est d’aider ses N-1, non pas sur le problème technique qui se pose à eux, mais également sur le problème que leur pose ce problème.
Pour terminer, posons-nous les questions suivantes :
- Julien est-il lui-même à l’aise avec l’idée de demander de l’aide à son manager quand il est en difficulté ?
- Qui a la responsabilité d’aider Julien à progresser sur sa capacité à rendre ses collaborateurs demandeurs d’aide ?